Eglantine (2)

07/09/2017

A partir de là débutèrent deux longues semaines pendant lesquelles je fus collée à mon mari comme un timbre sur une enveloppe.
Il ne faisait rien sans que je l'accompagne. J'allais jusqu'à le suivre à la salle de bain.
Je m'occupai de lui comme je ne l'avais jamais fait depuis notre mariage, le couvant, le chouchoutant, le servant comme une épouse parfaite , et surtout, comme une gardienne de prison en mission incognito.

Lorsque nous sortions de la maison, je le retenais le temps qu'il fallait si j'apercevais Eglantine en dehors de chez elle. Et si par malheur nous nous retrouvions face à elle, je faisais discrètement sonner le téléphone de la maison pour que mon mari rentre en courant.
J'avais mis mon gsm sur « appel masqué ». Il n'a jamais su qui avait émis ces dizaines d'appels anonymes.
Il n'a surtout jamais réalisé que les appels avaient toujours lieu lorsque nous étions dehors et qu'Eglantine faisait mine de s'approcher.

Mon ennemie en tenue de bimbo (je n'avais pas une haute opinion des bimbos) avait tenté quelques fois de lui demander de l'aide pour ses travaux mais je l'avais interceptée à temps et je lui avais expliqué que mon époux était épuisé et qu'il avait besoin de calme.

Je n'ai jamais tant raconté de bobards qu'à cette époque de ma vie. Et le pire c'est que je n'en avais même pas honte.
C'était une question de survie. C'était elle ou moi !

Je me suis acheté une paire de jumelles pour épier Eglantine.
Le lendemain il faisait exceptionnellement beau pour la saison. Eglantine, avec sa grâce innée qui me rendait verte de rage, s'était installée sur un fauteuil de jardin dans un bikini si petit que je n'avais pas mis longtemps à compter les centimètres de tissus (Oui j'ai compté ! Et j'ai commencé la rédaction d'une lettre adressée au service de la censure . )
Le bikini et le corps parfait qu'il contenait mal est resté allongé toute la journée.
Eglantine a somnolé, lu, bu environ 1,30 litre d'eau, s'est levée deux fois pour aller chercher à manger (1 pomme, 18 fraises et 2 carrés de chocolat (Elle va grossir ! J'ais sauté de joie)). Lorsqu'il fut temps pour moi de quitter mon poste d'observation, j'avais un cercle violacé autour des yeux et je mourais de faim.

Décidée à lutter à armes égales, j'ai rangé les jumelles et j'ai entrepris de me lancer dans une grande opération charme pendant que mon mari partait travailler.. Epilation, gommage, maquillage, coiffure, vêtements. Tout y est passé, au grand dam de mon portefeuille et non sans quelques mésaventures. On ne se méfie pas assez des notices sur lesquelles est écrit « attention aux risques d'allergies » ... J'ai prétexté un début de varicelle tardive quand Eglantine m'a hélée alors que j'allais faire des courses « Bonjour, vous êtes malade ? » Elle osait prendre un air inquiet mais je ne m'y fiais pas, je savais ce qu'elle mijotait. Je l'imaginais m'apporter un exemple de testament pour que j'élabore le mien. (Tu n'auras pas mon mari, même après ma mort, je te hanterai jusqu'à la fin des temps !).
Le choix de la varicelle se révéla être une idée de génie, la blonde à la peau parfaite s'est fait très discrète pendant 15 jours, par peur de la contagion sans doute.

Mon mari, ébahi de ma transformation lorsqu'il rentrait de son bureau, semblait plus perdu qu'affriolé. Mais peu importe, c'est à ses yeux à elle que je voulais paraître indestructible !
Ayant commandé des dvd de fitness, je me suis installée sur un grand essuie de plage au motif de Bob l'éponge et je fis des étirements avant de me lancer, avec l'aide de David Guetta, dans des exercices qui allaient me donner un corps ferme et sexy.
En fait de fermeté j'ai vite ressenti des courbatures qui m'obligeaient à marcher légèrement penchée, comme si je mimais perpétuellement la tour de Pise.
J'ai rangé Bob et David et j'ai acheté de la crème raffermissante.

Je recommençai aussi à préparer des petits plats. Je testai de nouvelles recettes, j'organisai des soirées romantiques avec du vin rouge , de la musique douce et un éclairage feutré. Et comme dessert je variai les plaisirs : lundi, strip tease (« Qu'est ce que tu fais Mamour ? Ta robe te démange ? » ), mardi, fraises trempées dans de la Chantilly, portées directement de ma main à sa bouche, avec un regard concupiscent (J'avais appris ce mot dans un roman érotique que j'avais feuilleté, cachée entre deux rayons de la librairie, avant de le remettre à sa place en vérifiant que personne ne m'avait vue) « Mon coeur, avait bafouillé mon mari, une fraise sur la langue et le menton couvert de Chantilly, pourquoi tu louches ? ».

Le mercredi, après m'être renseignée sur internet, je l'ai entraîné sur notre lit pour une séance de massages. J'avais revêtu mes plus beaux sous-vêtements. La chambre était remplie de bougies et je flottais dans les effluves sensuelles de « Oh oui » de Lancôme.. J'étais certaine de lui faire vivre une soirée inoubliable. Lorsqu'il a hurlé de plaisir au moment où les pierres chaudes touchèrent sa peau, j'ai su que j'avais gagné, Eglantine ne pourrait jamais lui donner un tel bonheur.
A dire vrai je me suis quand même demandé après coup s'il avait véritablement crié de plaisir, étant donné les grosses marques rouges qui ont orné son dos toute la semaine suivante, mais il n'a rien dit et j'ai gardé mes convictions.

Après 1 mois, il avait pris 2 kilos, il n'avait plus vu ses copains et je le sentais au bord de la crise de nerfs. De mon côté je sentais poindre un ulcère à l'estomac tant j'étais stressée et mon budget était dans un rouge si vif que je devrai probablement me lancer dans une activité complémentaire pour les 10 ans à venir pour remonter la pente.

Et pendant tout ce temps, Eglantine peignait sa maison, ornait son jardin de buissons luxuriants, se trimbalait vêtue d'un tee shirt toujours aussi proche qu'il était possible de son épiderme parfait, d'un short en jean qui laissait deviner la délimitation entre ses fesses foooorcément rebondies et ses cuisses ciselées, et d'une grosse ceinture garnie d'outils de toute sortes. C'était la fille illégitime de Pamela Anderson et de l'ouvrier du groupe Village People, c'est sûr !

J'ai même prié ... Oui, je l'avoue, j'ai invoqué tous les dieux du ciel, à grand renfort de bougies et d'encens. Ce jour-là Eglantine est venue sonner à ma porte avec un air de panique intense « il y a le feu chez vous, je vois de la fumée s'échapper par la fenêtre du salon ».
J'ai abandonné la prière. Non seulement je commençais une réaction allergique à l'encens et j'avais une toux qui faisait penser au cri d'un dragon en pleine crise de puberté, mais en plus mes invocations avaient attiré ma rivale vers mon antre.
C'était clair, les dieux n'avaient aucune intention de m'aider.

Un soir, après que j'eus regardé « la vie dans les châteaux forts » à la télévision j'ai réfléchi à la possibilité d'arroser Eglantine d'huile bouillante mais c'était un peu trop compliqué de me procurer assez d'huile pour remplir un chaudron. Mon mari allait penser que j'allais lui préparer des frites tous les jours jusqu'à notre dernier souffle. Souffle que dans ce cas on risquait d'expirer plus tôt que prévu étant donné l'obésité qui se serait emparée de nous.

Le dimanche suivant ce fut le drame ! Le trou noir, l'apocalypse !
La journée n'avait pas franchement bien commencé mais je n'imaginais pas jusqu'où un sursaut de mauvais karma allait me mener.

M'étant rappelée que « le chemin vers le coeur d'un homme passe vers son estomac », je m'étais levée alors qu'il dormait encore pour aller chercher des pains au chocolat encore chauds à la boulangerie du coin. Pour mettre tous les atouts de mon côté (le chemin vers le coeur de l'homme passe aussi par le sex-appeal), je m'étais douchée et apprêtée comme si je concourais pour miss univers . ... « J'exagère un peu, on va dire miss campagne », ai je grimacé en voyant ma nouvelle robe décolletée à souhait donner l'impression qu'elle allait éclater à la première respiration.

Faisant fi de mes doutes, j'ai pris un soins tout spécial pour domestiquer mes cheveux. Eglantine, la veille, avait arboré un chignon coiffé-décoiffé parfait, il m'avait bien fallut l'admettre. Les mèches flottant avec grâce autour de son visage semblaient avoir été comptées. Pas une de trop, pas une trop peu. De rage, j'avais mordu dans mon pouce pour éviter de hurler. « Qu'est ce que tu t'es fait ma chérie ? Un chien t'a attaquée ? » Mon mari avait regardé la morsure avec méfiance, prêt àporter plainte contre le propriétaire du molosse. Malgré la douleur et le gonflement qui donnait à mon pouce un début de ressemblance avec une balle de ping pong, j'ai agité ma main devant lui « mais non, rassure toi, je me suis cognée en cuisinant ». Il avait souri, rassuré, et était parti regarder la télévision alors que fonçais mettre mon pouce sous le robinet d'eau froide.

Un dernier coup d'oeil au miroir. « Waouw ! J'ai vraiment réussi ma coiffure cette fois ! » Le brushing savamment étudié était gonflé comme un soufflé au fromage, jamais je n'avais réussi quelque chose d'aussi aérien, je me sentais pousser des ailes alors que je me dirigeais fièrement vers la boulangerie.

« Noooooooooooooooon !!! » Une seconde ... en une seconde les nuages se sont amoncelé au-dessus de moi et ont explosé, lâchant d'un coup des hectolitres d'eau. C'est en haletant et la tête couverte d'une méduse aux tentacules capillaires désordonnées que je franchis la porte de la boulangerie. Madame Blampain ne voulant pas perdre une de ses meilleures clientes, a retenu un sourire (je l'ai bien vu, je ne suis pas idiote, elle avait pincé et était devenue écarlate) et a dit d'un ton chantant « Bonjour ! Quel beau dimanche n'est ce pas ? Qu'est ce que je vous sers ? »
Je me suis promis de changer de boulangerie.

Une fois rentrée et avec une coiffure à laquelle le sèche cheveux avait donné un style afro, je me suis glissée dans le lit, mon butin sucré posé sur un plateau. Après deux heures de câlins agrémentés de pains au chocolat, mon mari s'est levé et s'est dirigé vers la salle de bain. Je flottais sur le nuage des désirs assouvis et j'avais fermé les yeux. Il n'y avait plus que nous et notre amour, tout était parfait. Je fredonnai « toi, moi , et la musiiiique » de Pierre Bachelet, la musique étant à ce moment là une version très personnelle de « sexbomb » chantée par mon héros sous la douche.

Hmmmm ? Je m'étais retournée en grognant. Qui osait utiliser une tronçonneuse un dimanche matin ? J'avais tenté de me rendormir mais le bruit était bien trop fort. « Chéri, tu entends ce vacarme ? » Le silence m'avait répondu et je m'étais redressée. « Chéri ? Où es tu ? » Aucun bruit ne venait de la salle de bain. « Chériiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ? » Ca devenait bizarre, le silence prenait de la densité, je me sentais entrer dans un film de Stephen King.

Avant d'appeler la police comme mon instinct dopé aux experts me le dictait, je me suis levée et j'ai fait le tour de la maison. Il n'était nulle part ! Mon attention a alors été à nouveau attirée par le bruit venant de l'extérieur. Soulevant un rideau, j'ai regardé par la fenêtre.
Et j'ai arraché le rideau, la tringle et le cadre accroché à mes côtés, qui contenait la photo de notre mariage
« Non mais c'est pas vrai !!! qu'est ce qu'il fait chez elle !!! »

Il n'avait fallu qu'une seconde d'inattention et elle en avait profité ! La fourbe ! La traîtresse !
Aussi déterminée qu'un pirate sur le point de prendre d'assaut un vaisseau du roi de France, je me suis précipitée à l'extérieur.
« Bonjour chère amie ... »
Gloups ! Monsieur Laplume , qui habitait à l'entrée du quartier, me regardait avec gourmandise.
J'ai réalisé que je portais toujours la nuisette qui avait permis le passage jusqu'au coeur de mon mari et je couvris ma poitrine d'une main tout en tirant sur le bas du tissu dans l'espoir que mes jambes disparaissent. Je n'ai pas répondu à Monsieur Laplume, je suis rentrée en courant et je me suis changée.

Pantalon kaki et débardeur rouge à l'effigie de Che Guevara, je partais en guerre !