16 octobre 2022, 3h18.
Il me harcèle, me torture, me nargue.
Mon agresseur est sans pitié. Depuis
combien de temps, je n'en ai aucune idée. Il a commencé sans même prendre le
temps de m'éveiller, c'est une douleur cuisante et brûlante qui m'a sortie du
sommeil paisible dans lequel je flottais.
Non mais ... un moustique un 16 octobre ... de qui se moque-t-on ?
Le bras et le pouce gonflés, je flotte dans une odeur
envoûtante -et surtout écœurante- de pommade calmante. Le pouce ... quel degré de cruauté faut-il pour
piquer un pouce, un endroit impossible à gratter...
3h32 Il passe et repasse autour de moi, sans complexe, sans
même chercher à dissimuler son bruit assourdissant de réacteur d'avion de ligne. Je me déboîte les cervicales à force de
tourner la tête dans tous les sens. On dirait que je suis possédée et qu'il me
faut un exorcisme d'urgence.
3h41 Mon cours d'économie d'il y a 30 ans me revient bizarrement
en tête. La loi de l'offre et de la
demande... C'est sûr qu'il est en demande. Est-ce que quelqu'un pourrait lui dire que je
n'offre rien ?
3h47 Il me défie toujours.
Il a faim et je représente certainement un gigantesque steak saignant. Cette image est très flatteuse, je me vois
entourée de frites et de salade ... A propos de steak, quelqu'un a-t-il tenté d'attirer
un de ces spécimens loin de lui en déposant dans le coin de la chambre un
morceau de viande rouge ? Si j'avais du courage -et de la viande au frigo-
j'irais lui en cuisiner une tranche.
4h00, déjà. Je n'ose
pas me rendormir. Dès que j'arrête de
bouger, il se pose sur ma joue, ma main, mon œil. Oui, même l'œil, rien ne m'est épargné. En
plus, il rit. Je l'entends clairement
ricaner. A moins que je ne fasse une overdose de pommade.
4h11 Silencieuse et aussi immobile que possible, j'attends,
le cœur gonflé d'espoir et les paupières gonflées par le manque de sommeil, qu'il
se pose non loin pour que je l'écrase.
Délicatement, du bout d'un doigt, je jette un œil sur mon portable et je
découvre un filtre moustique. Très kitsch
mais tellement réconfortant, je me sens soutenue. J'essaie le filtre. Oui, mon désespoir va jusque-là.
4h29 Il s'est posé.
Sur mon épaule droite. Je l'ai en
gros plan dans mon champ de vision. Je confirme, il rit. Comme il semble se
reposer, je lève lentement la main gauche et je tape. De toutes mes forces. Ma main claque si fort que le bruit ricoche
sur les murs de la chambre. ... J'ai tapé
pour rien. Il s'est envolé au dernier
millième de seconde. Mon épaule est
douloureuse. La trace de mes doigts
apparaît. Je me sens vivre un film d'horreur, ce maudit insecte me pousse à m'auto-flageller. Son degré de vicieuseté est sans limite. Vicieuseté n'existe pas, je sais, je m'en
moque éperdument. Je n'en suis plus là. Si je n'ai pas le droit d'inventer des
mots alors que je me noie dans le stress, le parfum de la pommade et la
douleur, en quoi la vie vaut-elle d'être vécue ? Là, je l'admets, j'exagère
...
4h53 Cela fait trois minutes que je ne l'ai plus vu ni
entendu. Se serait-il endormi, repu de
mon hémoglobine, ou est-ce qu'il me surveille, tapi dans l'ombre ? ... Et si c'était de ma faute ? Je n'aurais
peut-être pas du reprendre une part de mousse au chocolat. J'ai dû augmenter le taux de sucre dans mon
sang. Il doit se régaler, c'est
sûr. Ma seule consolation est qu'il est certainement
sur le point de faire un coma diabétique de type Z.
5h08 Au moment où mes yeux se ferment, il resurgit. Sadique. Si je devais donner un titre à cette
nuit, ce serait « agression nocturne ». Ça me rappelle la chanson de Michaël Youn et
Pascal Obispo « Confession nocturne ». Michaël Youn se faisait appeler Fatal
Bazooka. Oh oui ! Donnez- moi un
bazooka !! Un bazooka de compet' pour que je l'extermine une bonne fois
pour toutes !!
5h19 Je deviens folle.
Il me semble entendre son vrombissement non-stop. J'imagine même qu'il en a fait un
enregistrement et qu'il a déposé dans mon oreille un enregistreur miniature qui
tourne en boucle. Je perds pied. Si l'on m'interne, je veux que je monde sache
que c'est à cause d'un moustique. C'est
le fléau de l'humanité, l'outil de perdition de la planète. David a vaincu Goliath. La mousse au chocolat m'a été fatale. Pitié, apportez-moi ce bazooka ...
5h27 Je me suis cachée sous la couette. Entièrement.
J'ai bloqué toutes les issues. Je
me meurs. De chaud et de manque d'oxygène. Je dois sortir, il me faut de l'air frais.
5h28 Haletante et certainement rouge comme une écrevisse et
échevelée comme un pur-sang dans un ouragan, j'hésite entre l'implorer et lui
promettre un steak sucré chaque nuit ou ramper jusqu'à la salle de bain et dormir
dans la douche.
6h15 Bizarre, je ne l'entends plus depuis une demi-heure. Digèrerait-il ? En a-t-il eu assez ?
Je n'en peux plus ... Je veux dorm
9h02 Je me suis fait peur en passant devant le miroir. De profonds cernes noirs, l'épaule couleur écrevisse,
des traces de piqures un peu partout et l'air éperdu d'un inuit catapulté sur
une plage de Tahiti. Sans parler de mon
niveau d'énergie bien plus bas que le niveau de la mer. La journée sera longue...