Je suis coupable (suite et fin)

07/09/2017

Une période compliquée commençait, j'allais devoir faire preuve de vigilance et d'ingéniosité.

« Papa, tu es ringard, ça craint ! »
Au moment où je franchis le seuil de la cuisine ce soir là, je sens la tension dans la pièce. Mon mari est rouge de colère et ma fille pianote sur son gsm avec un air blasé.
« Je t'interdis formellement d'y aller ! »
Mais de quoi parlent-ils ? Mon mari me fait signe d'approuver. Je ne demande pas mieux que de faire front avec lui mais j'aimerais un peu d'explications.
« Que se passe-t-il ma puce ? »
Ma fille lève les yeux de son écran et émet un soupir à fendre l'âme.
Je remplis une tasse de café, je vais avoir besoin d'énergie, je le sens.
« Papa refuse qu'on me fasse un tatouage »
Le café est resorti d'une traite de ma bouche et je m'étrangle.
« Ca va chérie ? » s'inquiète mon mari accouru derrière moi pour me tapoter le dos alors que je tousse comme une rescapée de la noyade.
« Ca va », dis-je en hoquetant.
« Un tatouage ? » Je regarde ma fille qui fièrement me montre une photo. Je me penche sur son téléphone et je vois une nuque couverte d'un code barre comme sur les articles du supermarché.
« C'est top hein ! » sourit ma fille avec une envie non dissimulée.
« Un code barre ? Tu n'es pas une marchandise quand même ! » Le ton de mon mari est sans appel, il n'acceptera jamais.
« Pfff, trop nul, vous ne comprenez rien (je me dis en moi-même « vous ? Je n'ai rien dit, moi ! ») »
« C'est non, point barre ! » La sentence est tombée, mon mari ferme la discussion. Je reprends du café et je le bois doucement, la main posée sur l'épaule, en regardant le jardin par la fenêtre.

J'ai besoin d'une longue douche chaude pour me détendre après cette émotion.
Le jet d'eau ricoche sur mon corps, je ferme les yeux et savoure le parfum de la mousse.
C'est alors qu'un léger bruit attire mon attention et que je vois avec stupeur une silhouette se glisser dans la pièce.
« Chéri, c'est toi ? »
« J'arrive mon coeur .. »
Mon dieu ! Mais que fait il ? Je vois au travers de la vitre couverte de gouttes d'eau qu'il enlève ses vêtements.
Que vais je faire ? Il ne doit pas me voir nue ... Il va savoir ce que j'ai fait ... oh mon dieu !
C'est déjà trop tard pour réfléchir ou le dissuader, il entre dans la douche et s'approche de moi. Je lui tourne le dos pour gagner du temps.
Jamais je ne remercierai assez mon ange gardien pour ce qui s'ensuivit.
Mon époux, dans son élan amoureux, tourne le robinet qui se bloque sur « froid » et de l'eau glacée tombe sur nous . Il pousse alors un hurlement qui doit s'apparenter au cri qui tue et, voulant se retourner, glisse sur la mousse et s'étale de tout son long sur le carrelage.
S'il y avait une catégorie « sortie de douche et enfilage de peignoir » aux jeux olympiques j'aurais la médaille d'or. Il ne s'est pas encore relevé que je suis déjà vêtue... sauvée !
« Chérie, tu t'es trompée » . Je le vois grimacer et pointer du doigt la sortie de bain. J'ai enfilé celle de ma fille, celle avec des zombies et des morts vivants.
Pour le coup ça lui a coupé tout désir de câlins aquatiques, et ça c'est juste parfait.


Je m'étais réjouie un peu vite, l'épreuve suivante m'attendait dans la chambre.
« Viens contre moi Chérie » dit mon époux avec un tendre sourire.
Je songe à m'installer en coach spécialisé dans la gestion du stress tout en lui répondant tendrement « j'arrive, je prends un tee shirt »
« Un tee shirt ? Mais tu m'as dit et redit que les médecins préconisent de dormir tout nu »
Je soupire intérieurement, me maudissant de trop parler parfois.
« Oui c'est vrai (j'ai mis des mois à le convaincre, j'ai gravé ce principe dans le marbre de son cerveau , il ne changera plus d'avis). Mais j'ai un peu froid. J'ai lu plusieurs articles scientifiques qui expliquent comment garder le bénéfice de la nudité tout en évitant d'attraper un rhume ou une angine. »
Je prends le premier tee shirt que ma main touche dans l'armoire ainsi que la paire de ciseaux qui me sert à couper les étiquettes des vêtements lorsque je m'habille.
(Etre partie plusieurs fois travailler avec ma taille et le prix affichés sur une étiquette accrochée à mon cou a décidé de l'arrivée des ciseaux dans ma chambre. Mes collègues ont adoré cette période pendant laquelle ils misaient à propos du coût d'achat de mes nouveaux vêtements. Je n'en ai jamais été certaine mais je soupçonne que quelques uns misaient aussi sur les variations de tailles. Grâce à moi une ambiance très ludique a régné au bureau. Personnellement je riais moins).
Armée des ciseaux , je découpe le tee shirt pour ne garder que les épaules, l'encolure et les manches.
« Waouw ! »
Mon mari apprécie les derniers rebondissements de la science, il m'ouvre grand les bras avec un regard gourmand. L'épaule cachée sous le tee shirt, je plonge sous la couette.

Je n'ai pas dormi cette nuit là. Je me revoyais le jour où je suis allée dans la petite boutique du tatoueur, vêtue d'un long manteau, de lunettes de soleil et d'une écharpe, pour que personne ne me reconnaisse. Je me souviens de la tête de la très vieille voisine du tatoueur chez laquelle je suis entrée après m'être trompée de numéro de maison, et que j'ai trouvée en train de s'exercer au pole dancing devant un groupe d'admirateurs du même âge. J'étais restée pétrifiée devant cette scène pas banale avant de resortir en m'excusant.
Je me rappelle aussi l'aiguille pénétrer ma peau. Le mélange de douleur et d'excitation. Et puis la joie de voir le résultat.

Mais je me sens mal de mentir à l'homme de ma vie.
Au petit matin ma décision est prise, je vais tout lui raconter.

Et c'est ce que j'entreprends de faire entre deux bouchées de tartine au petit déjeuner. L'ambiance est légère, mon mari a pris congé et envisage de profiter du soleil. Après le dernier morceau de pain, je laisse négligemment glisser mon peignoir et mes épaules s'offrent à son regard.
Il faut exactement 7 minutes 46 pour qu'il réagisse.

Il lance son croissant sur la table en me montrant du doigt et bégaie « là ... là !!! Tu as un ... tu as un ... »
(je réponds mentalement « vas y, tu peux le dire, un ta-tou-age , allez, un petit effort mon chéri )
« Tu as un tatouage !!! »
Le mot est dit. Mon mari est cramoisi. Il a une drôle de lueur dans les yeux . Mais ce n'est pas de la colère. C'est plutôt de la crainte.
Mais de quoi a t il peur ??
« Chérie, as tu senti quelque chose cette nuit ? »
« Pardon ? »
« Ecoute, tu ne l'as pas encore vu mais quelqu'un a tatoué ta peau pendant que tu dormais. Je vais aller vérifier les portes et les fenêtres. Mais si ça tombe ils sont entrés par téléportation ... »
« Quoi ?? » J'ouvre des yeux agrandis par l'étonnement.
« Les extra terrestres. Tu as été victime d'extra terrestres ma chérie. Mais ne panique pas, je vais appeler le FBI ... »

« Chérie ? »
Je sursaute.
« Mmmm ? »
Je regarde mon mari qui me dévisage, son croissant qu'il trempe dans sa tasse, ma tartine à peine entamée... J'ai rêvé toute éveillée. Le manque de sommeil me fait dérailler.
Une chose reste vraie, mon peignoir ne couvre plus mes épaules et il ne dit rien.
Je tourne les yeux vers ma clavicule. Mon tatouage est pourtant bien là, il n'a pas disparu.
« Dis mon coeur, frotte un peu ton épaule, tu as une miette dessus »
Je fronce les sourcils.
« Une miette ? »
Il se lève pour remplir à nouveau sa tasse et passe ses doigts sur ma peau à l'endroit crucial.
« Oh ! ça ne part pas, ce n'est pas une miette. Tu as dû faire un faux mouvement en écrivant avec un marqueur et il a touché ta peau »
Ca ne se passe pas du tout comme je l'avais cru. C'est même irréel . Il a le nez dessus et ne voit pas.
Je prends une grande respiration, décidée à en finir.
« Mon coeur j'ai un aveu à te faire »
Curieux il me fixe et m'écoute.
« Voilà ... je sais que tu seras fâché mais j'en avais trop envie ... je suis allée chez un tatoueur ... et ... et voilà » dis je en montrant mon épaule du doigt.
Il écarquille les yeux. « Un tatouage ? Toi ? Quand ? Où »
Ca devient surréaliste.
Je pointe ma clavicule et je lui dis « Là !!! »
Il se penche, le nez à 2 centimètre de moi.
« Aaaahhhhhh ! »
Il se précipite alors hors de la pièce, je l'entends monter quatre à quatre les escaliers et redescendre tout aussi rapidement.
Il brandit le miroir grossissant et regarde à nouveau mon épaule.
Et là je le vois sourire.
« Ton tatoueur a fait fort !
Ecrire « Toi et moi » avec un coeur et nos initiales, sur 5 mm carrés... C'est un travail de pro ! »
« Tu n'es pas fâché ? »
« Mais non voyons, c'est tellement romantique, et puis c'est surtout discret, personne ne le verra, uniquement moi, et encore, avec une loupe ! »
Il éclate de rire « je comprends maintenant ta terreur dans la douche et ton tee shirt découpé ! »
Il me prend dans ses bras sans s'arrêter de rire.

« Qu'est ce que vous faites ? »
Notre fille est entrée dans la cuisine et nous regarde avec méfiance.
« Rien, tout va bien, tu as faim ? » lui répond mon mari en me lançant un clin d'oeil complice.